1er jour : la découverte...
Mardi 19 août 2008, 8h30 du matin. Nous voici enfin au paraclub de Pamiers, partagés entre deux sentiments : la satisfaction de n’avoir jamais été aussi proches de l’expérience qui nous attend, mêlée à un peu d’appréhension… Et si ce jour était le bon : frisson du premier grand saut ! Le temps est couvert. Les paras ne se précipitent guère dans le hangar. Mauvais augure pour ce premier saut, sensé advenir à la fin de la journée d’instruction.
Formalités d’instruction. Coco, la secrétaire, la cinquantaine bien sonnée, nous accueille très gentiment. On se claque la bise et on se tutoie. Faut être cool avec les futurs “potos” (prononcer pôtôssss…), paras en herbe. Y’a même une assurance spéciale parce que certaines professions ne sont pas couvertes… Les ecclésiastiques n’apparaissant pas dans les susdites, il ne me paraît pas opportun de contracter cette assurance complémentaire. Rassurant…
Nous découvrons peu à peu les quelques insensés venus découvrir avec nous les joies de la pesanteur : « tout corps lâché en hauteur tombe inexorablement vers le sol ». N’est-ce pas Monsieur Newton ? Sauf que de 4000 m, il a le temps d’atteindre rapidement 200 km/h soit plus ou moins 50 m/s… Bref, un jeune couple sympathique, un jeune sportif de haut niveau, une jeune fille qui doit être notre benjamine, un jeune Jérôme fringant papa d’une petite Lucie de trois semaines et un abbé… qui finalement est l’ancêtre de la sizaine, qui oscille plus entre 20 et 30 ans que entre… enfin, au-delà ! A vrai dire, abbé en tenue de camouflage pour l’occasion…
Un jeune moniteur belge, un peu déjanté, nous prend en charge pour l’instruction. Découverte de l’aérodrome et de l’environnement, si jamais on avait l’idée d’aller se poser dans le champ de maïs du voisin ou entre les bottes de pailles du champ traversé par la ligne à haute tension. Voici la drop-zone, en décodé la zone où il faut s’efforcer d’atterrir (+ ou – : 400 m. x 150 m.), la tour de contrôle référence pour les manœuvres d’approche, la piste, la flèche qui indique le sens du poser, la manche à air pour la direction et la force du vent… De retour dans le hangar, nous visualisons une petite vidéo (pas terrible d’ailleurs) puis notre moniteur déplie un parachute pour un cours d’anatomie. Tout simple un parachute et très astucieux (cf. photos du pliage par le champion toutes catégories : JM). Forcément, nous sommes initiés à un jargon technique : suspentes, P.O.D, hand-deploy, glisseur et d’autres que j’ai déjà oubliés… La cohésion du groupe se fait progressivement. Chacun enfile le harnais et essaie le parachute pour une première préparation psychologique. Une petite visite à l’avion sous son hangar, nous familiarise avec ce beau Cessna pouvant emporter dans ses flancs une vingtaine de trompe-la-mort… Je ne m’attendais pas à un si gros appareil.
Après la pause, nous avons droit à tout un cours sur les manœuvres et l’approche sous voile. Super fun ! Reste la petite inquiétude de l’atterrissage, qui s’estompera tout à fait après le premier saut. Comme à l’école, nous passons au tableau pour des exercices théoriques de contrôle. Tout guillerets, nous partons déjeuner.
La reprise nous refroidit. Au menu, théorie et pratique des procédures de sécurité. Si les suspentes sont mêlées à l’ouverture, si vous partez en vrille à l’ouverture (vite ou doucement c’est différent), si les pieds sont pris dans les suspentes (super confortable), si la voile est déchirée, si plus de 2 suspentes sont cassées, si… vous êtes passés à travers le harnais vous n’avez plus qu’à dire ‘acte de contrition’. Il peut se passer tout ça ? Oui, mais c’est rare… enfin plus ou moins. Bref s’il y a un gros bug à l’ouverture du parachute, un seul recours : libérer le parachute principal (c’est-à-dire le larguer) et ouvrir le parachute de secours (c’est arrivé une fois durant notre semaine à un confirmé qui n’en a pas été du tout perturbé). Pourquoi libérer ? Pour que le secours ne s’emmêle pas avec le principal. En moyenne, il faut ouvrir le secours 1 saut sur 1000… Perspective apaisante… A la fin on se mélange un peu pour savoir ce qu’il faut faire dans quelle situation. Quelques exercices suspendus dans le hangar, nous mettent en condition.
Enfin, nous apprenons la position à prendre au moment de la chute : cambré pour que le centre de gravité nous tire vers le bas et que nous puissions chuter sur le ventre afin d’ouvrir le parachute en toute sécurité. Précisons que les deux parachutes sont sur le dos, non pas comme chez les militaires pour qui le secours est ventral. Jambes toniques, tête relevée, bras vers l’avant. Fastoche… en théorie !
Nous voilà prêts pour le questionnaire de contrôle de fin d’instruction… complètement bidon ! La mauvaise nouvelle est que le temps n’a pas changé. Les nuages empêchent tout décollage. Le baptême de chute est donc repoussé au lendemain… C’est comme le Bon Dieu qui, en ne répondant pas tout de suite à nos prières, creuse notre désir. D’autant que maintenant nous nous sentons prêts.
2ème jour : le ciel gris, école de patience...
Le lendemain matin, le temps est mitigé, nuageux avec quelques éclaircies. Nous sommes encouragés à notre arrivée à l’aérodrome. L’agitation est plus importante que la veille. Nous percevons nos combinaisons (verte et orange pour moi, très seyant). On nous attribue un parachute en fonction de notre poids et un casque. Ainsi équipés, l’attente commence… et la désillusion. Une équipe de filles très pro de vol relatif à 4 (figures en équipe en chute libre) est sur les startings blocs. L’avion ronfle. Seuls les confirmés peuvent sauter. Le risque pour les débutants est d’ouvrir dans les nuages et de ne pas pouvoir repérer la piste, ou trop tard en sortie de nuage. Après deux ou trois rotations, l’avion reste au sol. La couche nuageuse s’est épaissie. On nous a attribué des moniteurs pour nos sauts. Avec eux, nous répétons nos sorties d’avion dans la maquette (cf. première photo) et notre position de chute. Les nuages s’obstinent. Pour tuer le temps, nous décidons un cours de pliage et des travaux pratiques. Toujours des nuages en fin de matinée. Assis à attendre, Sophie, ma (future) monitrice remarque les sandales de Jérôme :
« - T’es curé ?… T’as des sandales de curé !… Non, mais elles sont jolies…
- (Jérôme lui montrant son alliance) Avec ça, c’est un peu difficile !
- Tu pourrais être pasteur ! »
Nous nous regardons avec Jérôme et nous retenons de ne pas éclater de rire.
L’heure du déjeuner arrive. Nous rongeons notre frein. Toujours pas d’éclaircie suffisante. Le ciel joue avec nos nerfs. Nous nous retrouvons par hasard à déjeuner avec deux moniteurs, Manuel et Sophie, qui seront, sans que nous le sachions encore en ce qui me concerne, nos moniteurs de sauts, les cartes ayant été redistribuées, nous verrons comment. Nous apprenons beaucoup sur le milieu du parachutisme et ces deux jeunes gens nous font bonne impression. Ce sont tous les deux des sportifs de haut niveau, à la vie saine et à l’esprit clair. Le milieu génère aussi des casse-cou peu ascètes, qui “chichonnent” (c’est-à-dire fument des substances peu recommandables et, théoriquement, pas autorisées) allègrement. Après le déjeuner, la longue attente reprend. Re-exercices divers pour passer le temps. Vers 3h00, nous sommes tentés de repartir. Le directeur du centre nous encourage à attendre jusqu’à 4h00. Vers 4h30, nous sommes tous renvoyés dans nos foyers. Rendez-vous est pris pour jeudi matin ; ils ont commandé du beau temps. Un peu déçus, mais résignés, nous rentrons chez nos hôtes dans Pamiers.
A peine arrivé, je monte dans ma chambre et remarque tout de suite par la fenêtre un beau ciel bleu. Et de téléphoner au paraclub. « L’avion repart pour des rotations. Si vous êtes là dans un quart d’heure, c’est bon ».
1er saut !
Alors tout s’enchaîne très vite. Tout excités, nous filons vers l’aérodrome. En arrivant, en effet, l’avion est en train de décoller pour une première rotation. Tous nos coéquipiers de PAC sont repartis ainsi que quelques moniteurs. On nous confie donc à ceux qui sont restés : pour Jérôme, Manu (ce qui était prévu) ; pour moi, Sophie. Manu, un ancien militaire pêchu, moniteur à son compte qui vit du parachutisme. Sophie, vice-championne du monde, championne d’Europe et 3° aux récents championnats du monde 2008 de Maubeuge en vol relatif à 4, 6000 sauts à son actif… Nous enfilons à toute vitesse notre combinaison, reprenons notre parachute. Surtout moi, car je suis dans la prochaine rotation. La tension monte. Le directeur du centre me passe la radio au cou. L’altimètre ajusté sur le poignet gauche, je suis vérifié au sortir du hangar. Je marche déjà sur le tarmac vers le lieu d’embarquement. Je ne sais plus quoi penser. Ça y est ! Le rêve va se réaliser. Ne pas penser. Se concentrer seulement sur les gestes répétés. Je mélange tout d’ailleurs. Alors faire confiance aux deux moniteurs qui m’accompagnent. Ah, oui ! A la sortie de l’avion je me dis qu’il faut que je regarde l’horizon. « Ça va ? » me demande Sophie. J’essaie de sourire, crispé. C’est drôle après coup de réaliser que je ne me pose même pas la question de renoncer. L’avion atterrit puis approche, vrombissant. J’embarque le premier pour sauter en dernier. La porte de l’avion est à l’arrière. Je me retrouve donc assis à même le sol au plus près des pilotes, coincé entre mes deux moniteurs. Les paras s’entassent. La porte se ferme. L’avion roule sur la piste de décollage.
Le soir tombant joue de ses feux sur la chaîne pyrénéenne. Je contrôle régulièrement l’altitude sur mon altimètre. Le paysage est magnifique. Sophie s’inquiète à plusieurs reprises de mon état psychologique. Elle est vraiment très délicate. Je répète les gestes à effectuer en chute aux altitudes correspondantes. Ultime vérification, nous sommes à 3500 m. Je mets mon casque et mes sur-lunettes qui me donnent l’aspect du caméléon, à cela près que je ne prends pas les couleurs aguichantes de ma combinaison, tendant plutôt vers le blanc livide. Les premiers se préparent et je me prends à penser : “Mais qu’est-ce que je fais ici ?” Trop tard ! Les potos, dans un rituel qui deviendra habituel, se tapent la main puis le poing en se souhaitant mutuellement un bon saut. Il s’agit sans doute d’un rituel d’exorcisme de la peur et du risque, pensé-je en moi-même. En fait, ce qui ne me rassure pas du tout, c’est de m’apercevoir que je suis le seul à avoir peur ! 3900 m… 4000 m. L’avion se stabilise. On sent comme un palier. La porte s’ouvre. Le bruit. Le vent. Les premiers sortent, d’abord l’équipe de filles en grappe pour se positionner immédiatement. L’avion sursaute lorsqu’elle lâchent prise. Puis les autres, happés par le vide vertigineux, dévorés par l’attraction terrestre. Les mains moites, je m’approche à mon tour. J’ai peine à réaliser ce qui se passe, ou plutôt je m’empêche de réaliser. Tout mon être me tire en arrière et c’est aux forceps de la volonté que je me positionne au bord du seuil béant, genou au sol, encadré par mes deux moniteurs…
Je peux encore renoncer. Regard vers la monitrice. Acquiescement de la tête. Regard vers le moniteur. Idem. Et de basculer dans le vide effrayant. Déséquilibré au départ, le moniteur qui me cramponne fermement me stabilise à plat. Tout va très vite. L’air me gifle le visage. Le bruit est intense. Je suis dans un autre univers. Ah oui ! Contrôler mon altimètre ; une vraie obsession. Poignée témoin. Sophie, positionnée en face de moi, me fait les gestes convenus. Cambrer. Tendre les jambes. Regarder l’altimètre. Je n’ai ni le temps de regarder l’horizon ni le temps de voir venir le sol à vitesse vertigineuse. Penser à l’altimètre. L’aiguille tourne vite. 2000 m. Il va falloir esquisser le geste d’ouverture. 1600 m. Le temps de réaliser le geste d’ouverture, le moniteur a tiré avant moi le hand-deploy. 2 ou 3 secondes s’écoulent puis je me sens tiré vers le haut alors que disparaissent dans l’abîme au-dessous de moi mes deux anges-gardiens. La secousse n’est pas aussi violente que ce que je croyais.
Freiné, je m’empresse de lever la tête pour constater que mon parachute d’un rouge vif saisissant est correctement déployé. Le glisseur descend vers moi. Tout va bien… Bref instant d’angoisse quand je ne vois pas les poignées des commandes. Je les avais vues rouges et saillantes lors du pliage… Rassuré, je les trouve, jaunes et plus discrètes. Je les saisis pour effectuer immédiatement une mise en œuvre (tirer les commandes à fond vers le bas, ce qui entraîne une plongée en avant, pour vérifier que la voilure peut être correctement dirigée) et les relève aussitôt, impressionné par la vitesse prise instantanément. Tout est O.K. Je m’aperçois en un éclair que j’ai oublié de regarder autour de moi pour vérifier si mon espace aérien est libre de tout autre parachutiste. Soulagement.
Je peux enfin goûter au calme après la tempête. L’insupportable poussée d’adrénaline a cessé pour laisser place à un pur moment de bonheur. Je vole, suspendu à une frêle toile. Le rêve d’Icare… La piste de l’aérodrome n’est pas loin dessous. Mon altimètre indique 1200 m. Les Pyrénées dessinent un profil chatoyant dans la lumière vespérale déclinante. Dans le petit lotissement d’à côté, les habitants ont presque tous une piscine. Je teste un peu timidement les capacités de mon parachute, tire à gauche pour virer à gauche, à droite pour virer à droite. Je me concentre sur l’approche. J’ai le temps. La radio fichée dans mon oreille grésille. Je devine, plus que n’entends, les instructions données depuis le sol par le directeur technique du centre. - “Voile rouge, si tu m’entends, remue les pieds” – “Voile rouge, un peu plus à gauche”… Mon plan d’approche se déroule impeccablement et je suis très fier de constater que je vais atterrir non loin de la cible en face du hangar. Au fur et à mesure de la descente, je me rends mieux compte de la vitesse de chute sous voile (environ 7 m/s). Après le dernier virage qui m’oriente dans le sens du poser, le sol se rapproche plus vite. Je voudrais me freiner un peu pour ralentir. - “Voile rouge, lève les bras bien haut !” Le parachute glisse sur l’air en douceur. J’ai un peu de mal à évaluer la hauteur et ne veux pas arrondir trop tôt pour ne pas risquer un crash. Je ne dois plus être qu’à quelques mètres, pensé-je. – “Arrondis, maintenant”. Je tire à fond les poignées de commande. La voile se cambre, freine subitement. Un instant, le mouvement n’est plus que vertical. Le choc n’est pas brutal, mais un peu surpris par le contact avec le sol, je trébuche et me retrouve un genou en terre, la voile s’affaissant lentement derrière moi. Pas mal, pour une première ! Tout heureux de reprendre contact avec le plancher des vaches, dont fort peu pratiquent le parachutisme d’ailleurs, je saisis mon parachute selon les instructions et reviens radieux et soulagé vers le hangar, apercevant au loin Jérôme grimpant dans l’avion. Que son ange-gardien veille sur lui !
Ayant posé mon parachute prêt au pliage, je quitte ma combinaison et rejoins Sophie, arrivée cinq minutes avant moi, pour un débriefing devant la vidéo. Elle analyse mon saut et met l’accent sur les points à corriger. Convaincu de ne reprendre que le lendemain, je suis surpris qu’elle m’invite à un deuxième saut ce soir même en partant avec la dernière rotation de l’avion. J’hésite un peu à accepter puis finalement décide de battre le fer tant qu’il est chaud.
Rééquipement, perception d’un autre parachute, installation de la radio et de l’altimètre, procédures de contrôle… Nous revoilà sur le tarmac. Je suis tellement doué que je vais sauter encore avec deux moniteurs, quand normalement dès le deuxième saut on n’est plus accompagné que d’un seul… No comment ! Je suis un peu groggy et épuisé tant physiquement que mentalement. Qu’importe, soyons fou ! Maintenant que je sais ce qu’il en est…, j’ai encore plus peur de devoir sortir de ce fichu avion qui roule vers nous sur la piste. Sourire crispé, puisqu’on nous a dit de sourire. A la seconde où je grimpe dans l’appareil, j’aperçois le premier atterrissage de Jérôme. Pas mal, et sain et sauf. Il va sûrement être étonné de savoir que je suis reparti dès ce soir pour une deuxième. Environ 19h30, je vais sauter au crépuscule. “Les images sont encore plus belles”, me lance Sophie. Motivation supplémentaire mais pas assurance supplémentaire.
Effectivement, le soleil au couchant offre à nos yeux des paysages mordorés. Le scénario se déroule comme la première fois. La sortie est toujours aussi stressante. Ma technique en chute s’améliore un peu. Je suis plus présent aux exercices à effectuer. Je ne goûte pas vraiment le plaisir de la chute. A vrai dire, j’attends surtout l’ouverture du parachute et ces moments de silence et de paix sous voile…
Tout va bien. Ouverture parfaite. La perspective est encore plus belle sur les Pyrénées. J’effectue peu de manœuvres pour ne pas descendre trop vite et rester le plus longtemps possible accroché à mes quelques mètres carrés de tissus. J’anticipe bien mon approche. Depuis le sol, le directeur technique me laisse faire. – “Débrouille-toi”. J’en suis ravi. Je m’étonne cependant, alors qu’il me semble être à plusieurs centaines de mètres d’altitude, que l’aiguille de mon altimètre m’indique 100 mètres. Effectivement, au-dessus de la tour de contrôle, mon correspondant radio m’estime à 300/400 mètres et me confirme dans mes exercices d’approche. Contrôle de l’altimètre : il indique zéro…??…!! La radio étant à sens unique, je ne peux donc pas signaler ce problème. Je ne suis pourtant pas du tout inquiet et continue tranquillement à descendre en suivant le chemin imaginaire en trois dimensions tracé autour de la drop-zone. Je suis le dernier en vol. Tous ont atterri depuis longtemps. Je ne suis pas pressé. Lorsque le sol se rapproche, je suis déjà plus à l’aise qu’au saut précédent et, sans aucune crainte, arrondis à moins de deux mètres de la cible, content de ma performance, d’autant plus que cette fois-ci, quoique chancelant, je reste debout sur mes deux jambes. Que d’émotion pour un même jour ! Pour nous permettre de nous reposer, Sophie me propose gentiment de replier mon parachute.
Avec Jérôme, nous rentrons alors triomphants chez Catherine et Antoine, comme des gamins ayant fait un bon coup, excités et soulagés. La nuit va être longue. 100 fois je ressortirai de cet avion infernal. Toujours le même cauchemar, la poitrine serrée, les mains moites.
3ème jour : l'escalade...
Jeudi 21 août. “Blue sky” : dans le vocabulaire para, ça sonne comme un cri de victoire sur les caprices de la météo. Au petit déjeuner avec Jérôme, nous comprenons à demi-mot que, pour tous les deux, la nuit fut clairsemée d’insomnies. Toujours le même rêve obsédant de sortie d’avion et de saut dans le vide. Pas vraiment reposés, nous regagnons l’aérodrome où nos amis de la PAC enragent de n’avoir pu profiter de notre chance de la veille tout en se réjouissant pour nous. Ah, la belle solidarité des potos !
Je pars assez rapidement pour mon troisième saut. Je me sens frais comme un gardon malgré le manque de sommeil. Nous avons la joie d’être ensemble avec Jérôme, tassés à même le sol l’un à côté de l’autre. Dans l’avion, une équipe de garçon avec deux récents champions du monde de VR8 (vol relatif à 8). L’ambiance est joyeuse et détendue pour tout le monde, sauf pour moi (et peut-être pour Jérôme ?). Après le petit rituel habituel des potos se souhaitant bon saut, nos zouaves pas très pontificaux franchissent la porte en groupe avec une décontraction qui frise l’insolence. Ils sautent de l’avion comme je prends l’ascenseur au CHU. Cette fois, je ne suis plus accompagné que par la seule Sophie. Ayant constaté ma difficulté à sortir correctement de l’avion et à me positionner tout de suite, elle me propose une sortie plus rassurante où je reste accroché à elle. Mon appréhension pour franchir cette grmmmbl… de porte n’a pas diminué. Ne pas penser. S’extirper du ressenti par la force de la volonté. La sortie se déroule moyennement, mais je réussis à me rétablir tout seul ce qui est un bon point. Les exercices se passent plus sereinement. Mes jambes plus toniques me permettent de mieux me stabiliser et Sophie me lâche complètement. Je vole seul. Elle m’applaudit et j’esquisse un sourire. Dans le programme : une flèche, qui consiste à glisser les bras le long du corps ce qui provoque un léger basculement vers l’avant et une prise de vitesse spectaculaire en plongée. Impeccable. Je contrôle mon altimètre. 2000m. 1700m. Je prépare mon ouverture que j’exécute en temps voulu avec une petite erreur sans conséquence en ne tirant pas suffisamment loin le hand-deploy. De nouveau, je me retrouve sous voile sans difficulté. Je suis surpris en contrôlant mon espace aérien de voir que Jérôme, parti pourtant avant moi, se retrouve au-dessus de moi. Deux secondes, c’est 100 mètres dans la vue. Il est bon, même à distance de sécurité, de partager les mêmes sensations dans l’amitié. J’atterris logiquement un peu avant lui, proche du hangar et de nouveau debout. Puis Jérôme, pour son deuxième atterrissage, se pose aussi debout. Joie partagée. Nos amis ont également effectué leur premier saut, sauf Marion, un peu furieuse, qui doit attendre la fin de matinée. Chacun s’inquiète des autres et ne manque pas aux encouragements au départ et aux félicitations à l’arrivée.
Ma vice-championne du monde de monitrice est contente de ma dernière prestation. En fin de matinée, parachute dûment replié selon les règles, je m’équipe à nouveau pour mon quatrième. Etrangement, je me sens un peu vidé et moins en confiance. Je suis tout simplement fatigué et mentalement moins solide. On verra bien ! Sophie est confiante au vu de mon dernier saut. Je lui fais donc confiance en retour. Mon angoisse va pourtant croissant à la perspective de sortir de l’avion. J’avoue que ma motivation se porte sur l’après chute libre, car je n’ai aucune attirance pour cette dernière. Je préfèrerais qu’on me largue directement sous voile. Puisque avant Pâques, il y a le carême, alors… Je confesse avoir offert ces fichues sorties d’avion en sacrifice, mais je ne vous dirai pas à quelles intentions…
Nos champions du monde sont toujours aussi boute-en-train. Les 4000 mètres approchent. J’installe ma radio, enfile mon casque, ajuste mes lunettes. Au programme du saut : sortie en roulé-boulé en comptant jusqu’à 3, rétablissement à plat, puis, avant 3000 m., salto avant. J’en frémis à l’avance. D’abord sortir. Je ne me fais pas au bruit et au vent. C’est parti…
Sophie me dira ensuite avoir été épatée par ma sortie. Je me rétablis bien. Tout à coup, je dévisse et commence à partir en “gamelle” (selon l’expression en usage). Je bas des mains et des pieds pour me redresser. Je tombe, je tombe. La panique intérieure me prend. Plus je m’agite et plus je suis ballotté en tous sens. Je tombe et ne peux plus contrôler mon altimètre. Sophie tente de me récupérer et je lui donne, bien involontairement, un coup de pied dans la tête, heureusement sans la blesser. La vidéo s’en trouve coupée… Et je tombe inexorablement. Je pense au déclencheur automatique à 1000 pieds, soit 330 m. Trop risqué. Je tombe à 200 km/h. Ouvrir sur le dos. J’entrevoie un instant l’effroyable situation des pieds pris dans les suspentes. Le risque est très réel et les conséquences incertaines. Où en suis-je de l’altitude ? Il me semble que je tombe depuis longtemps déjà. Sophie ne peut plus rien. Se concentrer. Arrêter de s’agiter. Refaire ce que j’ai appris. Je me laisse donc tomber sur le dos puis, dans un ultime effort de la volonté, craignant qu’il ne soit trop tard, je pousse le bassin vers l’avant en amorçant un tout petit effet de rotation. Immédiatement je repasse en position ventrale… Je ne reprends mes esprits qu’une fois sous voile. Je suis tétanisé. J’assure la descente, appliqué, sans en profiter. J’atterris finalement sur les fesses sans me faire mal, tout fébrile, presque tremblant. Expérience douloureuse où, très subjectivement, j’ai l’impression, à tort ou à raison, d’avoir frôlé la mort.
Après coup, Sophie, toujours positive et excellente pédagogue, m’explique comment je m’en suis finalement très bien sorti tout seul. Après mon retour en position ventrale, j’ai contrôlé mon altimètre et parfaitement ouvert mon parachute au bon moment. J’avoue n’en avoir aucun souvenir. Je suis psychologiquement marqué. Je ne crois pas raisonnable de sauter à nouveau aujourd’hui. Jérôme continue admirablement sa progression. La nuit portant conseil, j’aviserai demain pour la reprise.
et la suite...
Le lendemain, j’hésite longuement. D’aucuns me conseillent de ne pas rester sur un échec et de repartir tout de suite. Sophie, très habilement, ne m’influence pas du tout. Dès que j’amorce la perspective éventuelle d’enfiler ma combinaison et de passer le harnais de mon parachute, je ne suis plus angoissé à l’idée de passer la porte de l’avion, je suis carrément terrorisé. Je repense à cette cruelle expérience et ne peux m’empêcher de me projeter auprès de mes chers malades de l’hôpital. J’ai accompagné tant et tant de gens de tous âges dans la mort. J’ai vu l’amertume de ceux qui restent quand la mort a fauché brutalement un être aimé, ou quand le handicap le laisse définitivement cloué sur un lit. J’ai ressenti tant de fois l’injustice qu’ils en éprouvent. Tout se joue sur une fraction de seconde. A cette différence près : ici, je suis maître de mon destin. J’ai pris subitement la mesure de la dangerosité de ce merveilleux sport. Je ne me sens pas le droit de jouer avec la mort. Je ne me fais pas confiance. Je décide donc de stopper là l’expérience. Tiraillé, je demeure un peu triste. Je décide donc d’en parler franchement avec Sophie.
C’est l’occasion d’une magnifique discussion où elle m’expose comment elle-même s’est posé toutes ces questions alors qu’elle s’orientait vers une pratique assidue du parachutisme. Pouvait-elle imposer cela à ses proches ? Elle est très réaliste sur le risque réel encouru. Ainsi elle se refuse de repousser sans cesse les limites comme, par exemple, ceux qui utilisent des voiles toujours plus petites pour gagner en vitesse et donc en sensation. Je lui révèle alors mon état sacerdotal dont elle ne paraît pas surprise outre mesure. (Les réactions de nos amis de PAC me découvrant prêtre sont aussi très amusantes, mais je laisse Jérôme vous le raconter éventuellement). Je lui décris mon ministère au CHU… Ces instants d’échange vrai adoucissent mon amertume. Elle se change en joie véritable lorsqu’elle me demande si j’accepterais de bénir son futur mariage avec un garçon de l’équipe de France de VR8. Les voies de Dieu… !
Merci !!!
Voilà, chers amis. J’ai essayé de ne rien vous cacher de cette formidable expérience. Paradoxalement, malgré les apparences, je n’en suis pas reparti déçu. Au contraire, grâce à vous, j’ai pu réaliser un rêve dont je garde le doux souvenir de vol sous voile. Je ne crois pas être fait pour la violence que m’infligent les instants de chute libre, tout en concevant très bien que, ceux qui la maîtrisent, puissent en tirer une intense délectation. L’initiation est également possible en tandem (chute libre attaché à un moniteur) pour ceux qui le souhaitent… Puis au-delà de l’aspect purement technique, cette semaine de découverte du milieu parachutiste fut très instructive et sympathique. A cet égard, j’aimerais féliciter le cher Jérôme qui a mené à bien ses 10 sauts avec grande maîtrise (surtout le 7°, premier saut en solo). A ce propos, je vous conseille vivement de regarder ses vidéos, techniquement meilleures, notamment la n°6 qui vous met bien en situation de sortie d’avion. Je ne pouvais rivaliser avec lui que sous voile. Pour la chute, il excelle. Pour le pliage, c’est le champion incontesté. En outre, je le remercie de m’avoir accompagné dans cette inoubliable expérience, d’avoir réalisé avec sa compétence reconnue le site que vous consultez et, last but not least, de me gratifier de son amitié, enrichie par notre complicité exclusive de potos. Je ne remercie pas moins Catherine et Antoine (sans oublier Jeanne, Domitille, Athanase et Cyprien) d’être les instigateurs de cette douce folie à l’occasion de mes 15 ans de sacerdoce et de nous avoir accueillis royalement et amicalement pendant une semaine malgré leurs obligations professionnelles et familiales. Il me reste à vous remercier tous et chacun à la fin de cette interminable recension. Ce cadeau pour le moins original demeurera aux archives de mon cœur comme l’expression de votre belle et fidèle amitié, à laquelle répond pour chacun d’entre vous toute mon affection et ma prière, dans l’espérance de vous croiser bientôt. Que Notre-Dame vous guide ! Que Saint Michel Archange, patron des parachutistes, garde vos pas des embûches de l’ennemi !
abbé Philippe-Marie